Bruno Durieux
Les Caractères
Un texte de Jean de La Bruyère
Un livre de Alin Avila
Je ne saurai dire précisément pourquoi j’ai pensé associer cette série de quarantes culptures aux caractères de La Bruyère. J’aurai pu déclarer qu’il s’agissait des quarante académiciens français, des quarante apparences du démon tentateur dans le désert, ou des quarante voleurs d’Ali Baba, ou encore des Argonautes dont l’effectif pourrait être aussi celui-là.
C’est sans doute le bonheur de relire La Bruyère qui m’a donné cette idée. J’ai eu envie de donner à ces sculptures les noms de certains de ces Caractères, qu’il a si génialement brossés; d’établir avec eux des correspondances. Pour autant je devais me garder d’utiliser La Bruyère comme illustrateur de mes sculptures et inversement de voir ces dernières comme des illustrations de ses portraits.
D’ailleurs, à quoi ressemblent Ariste le poëte,Egésippe l’incapable ou Ménalque le distrait, pour ne citer que ceux-là ? Le rustre est-il petit ou grand, l’obséquieux gras ou maigre, l’importun sinueux ou longiligne ; l’arrogant est-il chamarré, le parvenu quelle allure, le fourbe quel profil ?
Les Caractères de La Bruyère sont plastiquement abstraits. Nulles indications sur leur visage, leur taille ou leur corpulence. Les noms qu’il leur fournit à la manière antique, ne donnent pas la moindre idée de lignes, de volumes ou de formes qui s’y attacheraient. Bien qu’observés et dessinés avec une acuité extraordinaire, ces personnages n’ont pas de traits. Ils ne sont qu’attitudes, gestes, tempéraments, comportements, poses, agissements, mœurs. Chacun est donc libre de se les représenter à sa guise et de leur donner une morphologie à sa fantaisie.
Je ne m’en suis pas privé. Et comme l’habit ne fait pas le moine, ce qu’on ne cesse de vérifier avec La Bruyère, j’ai pris toutes les libertés. Bien que…
L’attribution d’une forme à un caractère ne peut pas être totalement arbitraire. Même abstraite, une œuvre, littéraire ou plastique, suggère une allure, un climat, une impression, en fait un caractère. Si l’œuvre figurative désigne, l’œuvre abstraite évoque, et de plusieurs manières. J’ai donc donné une version, une évocation, la mienne, des Caractères. J’ai attribué des traits aux Giton, Clitiphon et autre Hermippe. J’admets bien volontiers qu’on puisse leur en donner d’autres.
J’ai dû faire des choix parmi ces textes. J’ai retenu ceux qui sont à mes yeux les plus admirables par leur justesse, les plus universels.
Je suis très heureux, et surement présomptueux, d’établir cette correspondance entre mes sculptures, que je compose avec mes mots- des pièces de métal, ma grammaire, ma syntaxe, mon écriture, mon style, et ces textes exceptionnels. J’espère que La Bruyère ne s’en retournera pas dans sa tombe. J’espère aussi que le regardeur qui se fera lecteur, et le lecteur qui se fera regardeur, y trouveront chacun de l’intérêt et,mieux, du plaisir.
Bruno Durieux
Exposition du 6 juin au 10 juillet 2018
Édition courante
Prix : 20 euros port comprit
01 45 23 31 52
